Par André LETZEL
1. Pourquoi c’est un sujet incontournable aujourd’hui
Vous avez découvert que votre adolescent consultait des contenus pornographiques sur son téléphone ou celui d’un proche. Cette situation, bien que déroutante, n’est pas rare : aujourd’hui, l’accès au porno est simple, quasi gratuit et souvent banalisé.
Beaucoup de parents vivent cette découverte comme un échec éducatif. Pourtant, cela n’est pas le signe que vous auriez “mal fait”.
C’est plutôt l’indicateur d’un phénomène global : l’exploration sexuelle des jeunes se fait souvent via Internet, faute d’autres sources d’information.
2. Est-ce grave ? Faut-il s’inquiéter ?
Il est essentiel de distinguer l’expérimentation ponctuelle de la consommation régulière et compulsive.
- La curiosité sexuelle est normale, surtout entre 13 et 17 ans.
- La masturbation fait partie du développement psychosexuel.
- La majorité des adolescents qui explorent ponctuellement la pornographie n’en deviennent pas dépendants.
En revanche, il faut rester vigilant si vous observez :
- Une organisation de la journée autour du porno
- Un isolement social marqué
- Des pensées envahissantes
- Des signes de honte extrême ou de dégoût de soi
3. Pourquoi les filtres seuls ne suffisent pas
Le contrôle parental est utile, et il est même obligatoire de le mettre en place, car la loi française interdit formellement l’accès des mineurs aux contenus pornographiques.
D’ailleurs, le débat politique actuel insiste sur le fait que les plateformes ont une responsabilité majeure et doivent déployer des moyens techniques efficaces pour bloquer l’accès aux moins de 18 ans. Cependant :
- Les jeunes trouvent des moyens de contournement (VPN, messageries, smartphones d’amis).
- Interdire sans expliquer ne fait que retarder l’accès, pas l’empêcher.
- Le plus grand facteur de risque reste l’absence d’informations fiables et adaptées à l’âge.
Il est donc fondamental de combiner la prévention technique et l’éducation, et de soutenir les politiques publiques qui visent à rendre effectif ce verrouillage légal.
4. Comment en parler sans dramatiser
La clé est d’éviter deux écueils : la diabolisation et le silence. Voici quelques pistes concrètes, issues de mon expérience de sexologue et conseiller conjugal :
- Accueillir la curiosité : “Je comprends que tu sois curieux. C’est normal de s’interroger à ton âge.”
- Rappeler que le porno n’est pas la réalité : “Ces vidéos sont des mises en scène. Elles montrent une sexualité qui n’existe en général pas dans la vraie vie.”
- Parler de respect et d’intimité : “Le corps, le désir et la sexualité sont des sujets importants. Si tu as des questions, tu peux m’en parler.”
- Rassurer sur la masturbation : “Se découvrir fait partie de la croissance. Ce n’est pas sale, mais ça doit se vivre dans l’intimité.”
- Oser aborder les émotions : “Quand tu regardes ces images, est-ce que cela te fait plaisir ? Est-ce que cela te met mal à l’aise ?”
5. Et si votre adolescent refuse d’en parler ?
C’est fréquent. Dans ce cas, proposez un moment de discussion plus tard, sans insister sur le coup. Vous pouvez utiliser des outils indirects comme le site pédagogique onsexprime.fr, des jeux de cartes (Relations Toxiques, le violentomètre). Restez disponible. La porte doit rester ouverte.
L’absence d’éducation sexuelle complète : un facteur de risque
“L’absence d’une éducation sexuelle complète, progressive et positive est un facteur déterminant qui pousse de nombreux adolescents à se tourner vers la pornographie comme principale source d’information. Ce déficit éducatif crée une double vulnérabilité : d’un côté, la curiosité naturelle n’est pas satisfaite par des explications adaptées ; de l’autre, le sentiment de honte ou d’interdit rend difficile la recherche de réponses auprès des adultes.”
(Source : Gouvernet, Brice & Letzel, André. (2023). D’une vision simplificatrice de la pornographie à la nécessité d’un regard complexe sur les pornographies. Sexologies, 32, 71-83. DOI:10.1684/sexol.2023.0004)
En clair, plus les adolescents ont accès tôt à des repères positifs et réalistes, moins ils auront besoin de chercher des réponses dans des contenus qui déforment la réalité.
L’enjeu politique et sociétal
La loi française interdit strictement l’accès aux contenus pornographiques avant 18 ans. Pourtant, le système de vérification d’âge reste largement inefficace.
Depuis 2022, plusieurs projets et débats publics insistent sur :
- Le renforcement des sanctions contre les plateformes non conformes.
- L’obligation d’authentifier réellement l’âge.
- La nécessité d’un accompagnement éducatif dans les familles et les écoles.
Ces mesures sont essentielles pour rendre effectif l’interdit légal, mais elles ne remplaceront jamais la place du dialogue parental.
6. Quand faut-il consulter un professionnel ?
Si la consommation devient compulsive ou s’accompagne d’isolement, de repli, d’une estime de soi très basse, il est utile de se faire aider par :
- Un sexologue
- Un psychologue
- Un médecin formé à la santé sexuelle des adolescents
Encadré juridique : Que dit la loi française sur la pornographie et les mineurs ?
La France interdit strictement l’accès des mineurs à la pornographie. Voici les principaux textes et ce qu’ils prévoient :
Article 227-24 du Code pénal
Interdit de diffuser, même indirectement, un message à caractère violent ou pornographique susceptible d’être vu par un mineur.
Peine encourue : 3 ans de prison et 75 000 € d’amende.
Article 227-23 du Code pénal
Interdit la fabrication, la diffusion, la possession et la consultation d’images pédopornographiques.
Peine encourue : jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 € d’amende.
Article 227-22-1 du Code pénal
Interdit à un adulte de faire des propositions sexuelles à un mineur de moins de 15 ans via internet.
Peine encourue : 2 ans de prison et 30 000 € d’amende.
Loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 et décret d’application d’octobre 2021
Ces textes confient à l’Arcom la mission de mettre en demeure les sites pornographiques qui ne vérifient pas correctement l’âge des utilisateurs. Si ces sites ne se conforment pas, l’Arcom peut saisir le juge pour demander le blocage en France.
Loi du 21 mai 2024 (dite “Loi SREN”)
Renforce l’obligation pour les sites pornographiques de mettre en place un système de vérification d’âge fiable (exemple : carte bancaire, certification d’identité, tiers de confiance).
Objectif : rendre impossible l’accès à ces contenus avant 18 ans.
7. Pourquoi en parle-t-on autant ?
Parce qu’en pratique, jusqu’ici, les sites se contentaient d’un simple clic “Je certifie avoir 18 ans”. Le gouvernement et l’Arcom veulent rendre le contrôle obligatoire et réellement efficace pour protéger les mineurs. Ces débats montrent que les solutions techniques et légales doivent aller de pair avec l’éducation et le dialogue parental.